GRINÇANT, DÉPENAILLÉ, IRONIQUE ET POURTANT SENSIBLE, LE PREMIER FILM DE PATRICK BOUCHITEY, LUNE FROIDE, A FAIT L'EFFET D'UNE MAUVAISE BLAGUE DANS LE CONTEXTE PREMIER DE LA CLASSE DU NOUVEAU CINÉMA FRANÇAIS.
Patrick Bouchitey et Jean-François Stévenin

UN AN APRÈS, BOUCHITEY PARLE DE CETTE PREMIÈRE EXPÉRIENCE, SANS N'AVOIR RIEN PERDU, SEMBLE-T-IL, DE CETTE PUISSANTE IMMATURITÉ, TOUJOURS EXCESSIVE, VENUE TOUT DROIT DES ANNÉES 70, DE HENDRIX, CASSAVETES, BUKOWSKY... SUR FOND D'AMITIÉ BRISÉE AVEC STEVENIN.

Elein Fleiss : Vous revenez de New-York où vous avez présenté votre film, comment ça s’est passé ?

Patrick Bouchitey : Mon film a été très mal reçu, il y a eu beaucoup de critiques, même sur ma personne. Beaucoup de gens se sont sentis violentés, mais les plus virulents étaient les hommes. Je n’avais pas revu le film depuis sa sortie il y a un an. Ça a été douloureux. Mais je revendique cette douleur, quelles que soient la maladresse, et l’insistance que j’ai mises à montrer, à dénoncer quelque chose.

En France, les gens ont-ils aussi été choqués ?

Oui, mais on ne peut pas éviter ça. C’est un film sur le fantasme et sur l’émotion. Je le vois de plus en plus comme quelque chose de décalé, par le fait même de choisir une image clean, très éclairée, mais pas réaliste, pas une image à la Cassavetes, bien que Cassavetes n’a pas tout fait caméra à l’épaule.

Il y a pourtant des éléments de votre film que l‘on peut retrouver chez Cassavetes…

Oui, il y a des choses. L’amitié par exemple, l’envie de faire ce film avec Stevenin, l’amitié profonde et même l’amour que j’avais pour lui. Mais il en a été très dérangé. Il faut vraiment que je sois têtu pour avoir voulu faire ce film

Est-ce un film sur l’amitié ?

Oui, une amitié désespérée. La preu-ve : depuis la fin du film Stévenin me fuit comme la peste, je le regrette. Pour moi, le film était une aventure, et je ne la regrette pas.

Comme dans les films de cassavetes vous faites jouer des personnes de votre entourage ?

Oui, j’ai mis mon père par exemple, qui joue le gardien, témoin de la scène où je me bagarre avec Stevenin... Les bourgeois dans une voiture qui me regardent, c’est aussi la famille, ils jouent leur propre rôle de bourgeois dans leur voiture, et c’est moi qui interprète un rôle.

Ce personnage de Dédé vous ressemble-t-il ?

Il y a des choses de moi, mais tournées en dérision, quand je dis à Stévenin : “Tu t’es déjà taillé une pipe ?”, en faisant croire que j’avais essayé, je vous assure que je n’ai jamais essayé, c’était dans Bukowsky. Ce qui m’a plu, c’est que tout était possible, c’est ça qui a dérangé les gens. On m’a dit que j’en faisais trop, mais j’ai joué un personnage qui en fait trop, cette espèce de rire agaçant, faux, ce sourire constant, pour moi c’est dans l’esprit du film. Mais ça fait la balance avec Stevenin,qui récolte tout, lui... Contrairement à ce qu‘il pensait, il a le beau rôle. Simon, le personnage qu‘interprète Stévenin, est le plus moraliste, il est culpabilisé et triste, contrairement à Dédé, votre personnage exessif, jovial et sans principe. J’ai voulu jouer un personnage qui ne se culpabilise pas, qui joue comme un enfant. Il joue à l’amour, il fait du rodéo quand il baise comme s’il n’avait pas de sentiments... Il n'a de sentiments que lorsque son pote lui dit la vérité. Il boude, il fait la gueule, il n’arrive à survivre que grâce à son copain, sinon il mourrait. Il vit à travers le mythe de la musique, Jimmy Hendrix, d’une façon complètement mythomane et enfantine. Avec les femmes c’est pareil, il n'est pas angoissé, sauf quand il entend sa sœur baiser, il angoisse.

Votre film est-il fidèle au roman de Bukowsky ?

L’histoire du viol de la morte était dans le livre. J’ai pris dans Bukowsky, la situation, certaines choses du personnage et notamment les dialogues, mais j’ai traité les choses différemment. Chez Bukowski, c’est deux mecs, deux cons, deux alcoolos... c’est formidable aussi, mais je ne pouvais pas tourner ça. Je ne pouvais tourner qu’une adaptation plus proche de mon univers.

Une adaptation dans le genre road movie prolo provincial paumé ?

Un road movie dans le sens où la voiture est omniprésente, mais les personnages, eux, restent. Il y a une errance sur place, c’est un faux road movie, ils vont à la boîte du coin, au bar, ils ne peuvent pas partir. Dédé est parti, mais il est revenu, car il doit être encore plus paumé ailleurs.

On a dû vous traiter de sexiste avec ce film (l‘amour avec une morte) Pourtant la scène où la prostituée met un phallus après avoir fait l’amour avec Simon (Stevenin) renverse les rôles. N’est-ce pas une scène de militant anti-phallique ?

Oui, Simon a la trouille face à ça, mais c’est une vision qu’il a dans le film, ça n’a rien de réaliste, comme la Morte d’ailleurs. Je l’ai rendue volontairement physiquement non-morte. Des gens vont y voir une poupée glonflable, libre à eux, mais je tenais à ce décalage. Comme pour le sémaphore du bord de l’autoroute, qu’ils embarquent dans le coffre de la voiture comme un cadavre et que Dédé fait danser...

Vous avez eu des difficultés à trouver un producteur?

Non, Luc Besson a produit le film. Il y a eu un groupe de gens pour y croire quand le court métrage est passé à Cannes.Cà a été comme un coup de soleil sur le film.

Que pensez-vous de la nouvelle génération de cinéastes français, Carax, Rochant, Assayas ?

J’aime beaucoup Carax, il fait partie de ces “fous” du cinéma comme Godard, Blier, Doillon, c’est quelqu’un d’extrême, il y a des choses formidables dans son écriture. Carax dérange par le choix même qu’il fait de son acteur fétiche, c’est un personnage qui dégage un truc fort intérieurement, qui revendique complètement sa différence et les gens n’aiment pas ça, ça fait peur.

Est-ce que vous êtes nostalgique des années 70 ?

On peut l’être, on peut se dire que ces années auraient pu être encore meilleures que celles qu’on a vécues, qu’on aimerait bien les refaire en marche arrière. Pourtant c’est des années où j’en ai chié, des années psy machin, ce n‘est pas mes années faciles, mais il y avait la musique.

Çet esprit de constestation vous manque-t-il dans le contexte trés moralisateur des nouvelles générations ?

Je n’ai pas ressenti ça comme de la contestation, plutôt comme une croyance, on était fiers d’être jeunes. C’est difficile de se mettre à la place d’une autre génération, on peut l’analyser, l’observer, on peut se dire aussi que c’est la génération du Sida, c’est un changement fondamental, mais pour eux, c’est un fait acquis, ils retrouvent d’autres valeurs. Je ne regrette pas que notre génération ait essayé des trucs, ce côté bisexuel qu’il y avait, les mecs aux cheveux longs, les filles habillées comme des mecs, tout ça pour échapper à quelque chose, pour entrer dans un monde avec plus de poésie, de jeu. Il y avait quand même l’herbe des indiens... Après ça tirait sur les drogues dures, mais on fumait le calumet de la paix.

Qu‘est-ce que vous faisiez quand vous étiez adolescent ?

C’était l’époque des années 50. J’étais scout. C’était très intéressant ce mélange de milieux sociaux, avec cet esprit de dépassement. A chaque fois que je rentre dans un truc, c’est un peu obsessionnel et fanatique, je ne sais pas ce que j’aurai donné en temps de guerre. J’avais besoin de me dépasser.

Vous étiez dans un univers assez masculin ?

Oui, je me revois scout avec l’aumônier, j’étais sur ses genoux, il voulait me faire dire que je me masturbais, alors que moi pas du tout, pas encore... J’étais jeune scout, ça m’a marqué, il y avait certainement des choses entre les aumôniers. Pour le rôle du curé que j'ai joué dans La vie est un long fleuve tranquille, je me suis souvenu des curés qui chantaient devant les feux de bois, j’imaginais tous les scouts chantant Hey Jude, en hommage aux Beatles.

Comme Dédé vous vouliez faire du rock ?

A l’époque je faisais partie de groupes. On était tellement dans le mythe des Beatles, on essayait de les copier, je m’étais acheté la même guitare, je me coiffais comme eux, quand ils ont eu une moustache, on s’est fait pousser la moustache, j’avais un copain qui n’y arrivait pas, qui était obligé de se mettre du caca de pigeon pour faire une fausse moustache.

Comment s’appelaient vos groupes?

Le premier s’appelait les Waves, à l’époque des Shadows ; ensuite les New- New, très pop, après est arrivé le Rythm and Blues et on s’est appelé Soul System ; au bout d’un moment on s’est branché sur un copain noir, il fallait être black pour chanter du James Brown, il fallait des cuivres alors j’ai échangé ma Cretch contre une Telecaster car Steve Grooper en avait une, on était fasciné par ces sons là...

Avez-vous travaillé pour la télé ?

Oui et je continuerai à le faire, des trucs de détournement. Pour moi, c'est plutôt de la rigolade.

Vous avez un certain espoir pour la télé ?

Je n'ai aucun espoir pour la télé. Il n’y a qu’à voir aux Etats-Unis et au Japon, comme c’est eux qui ont la mainmise sur l’Europe, sur la télé notamment. Mais il y a encore des trucs à la télé en France que je prends plaisir à regarder, des documentaires en particulier, on peut s’interroger sur tout ce qui est émission, information.

Est-ce que vous préparez un deuxième film ?

J’y pense, si je refais un film c’est qu’il y aura un truc qui s’imposera, je suis intéressé par un sujet : le double, l’idée du double. Mais j’ai une terrible envie de m’amu-ser, de rigoler.